Amis du forum venez donc vous baigner, en ces périodes de vacances, dans la Mer de la Tranquillité !
BAR DE L’UNIVERS
Pension de Famille
Hôtel Restaurant
XVIII EPISODE
PLONGEON DANS LA MER DE LA TRANQUILLITE
Toulouse – Vendredi – 17h05
Demain samedi, il n’y aura pas de prestation du père Uranus. Le public est donc avide d’entendre notre homme raconter ses premiers pas, ses premiers pas sur la lune.
- Mes chers amis, bonjour ! Où en étions-nous ?
Ah oui, nous avions aluni par le nez de l’œuf et nous apprêtions à stationner l’engin.
Chaque trou, chaque bosse ou obstacle était directement ressenti à l’intérieur du vaisseau.
Arrivé devant l’abri, Alexandre rétracta les pieds hydrauliques au maximum, de manière à entreposer la navette sans endommager les groupes électrogènes et télescopes disposés sur le toit.
- Nos appareils dorsaux seront protégés des météorites explique Alexandre grâce à une dalle d’acier de 10 cm d’épaisseur car à l’arrêt nous ne bénéficions plus de l’effet d’impédance collatérale. Plusieurs mètres cube de gravas de lune étendus sur cette dalle représentent un bouclier statique acceptable pour tout habitat lunaire.
Notre complexe est également construit de la sorte.
Apercevant un dispositif analogue sur chaque poids lourd, je lui demande :
- Vos camions bénéficient aussi de votre générateur dernier cri ?
- Oui ! Tout endroit statique ou dynamique susceptible de recevoir l’homme doit pouvoir l’accueillir avec un maximum de survie. L’air pressurisé, l’eau et l’électricité ainsi que quelques boites de conserves sont ici synonymes de survie.
Bien… Avant de sortir, nous devons respecter la check liste. Elle nous ordonne « opération pipi avant combi » Direction les toilettes, c’est l’occasion de les inaugurer.
Nous possédions au début, le système Apollo : un trou vers l’extérieur et basta, on referme, la pression intérieure éjectant l’éjectable dans l’univers.
Avec une petite idée derrière la tête, j’ai sophistiqué ces toilettes.
Elles ressemblent à toutes les autres, à part ces deux sorties.
L’une est réservée aux matières solides, l’autre aux liquides.
Dans la deuxième, les liquides arrivent dans un séparateur moléculaire dissociant d’un côté hydrogène et oxygène, qui une fois recombinés restituent de l’eau propre et de l’autre, urée, albumine et autres déchets organiques transformés en poudre qui eux iront rejoindre la première sortie des solides une fois ceux-ci passés dans un incinérateur.
C’est à mon humble avis les premières toilettes écologiques de l’univers.
Cette mixture soigneusement conservée servira mon fameux projet de conquête planétaire.
Une providence pour l’homme, en danger sur sa propre planète.
Pierre Olive, attentif à rendre la monnaie, n’en sursaute pas moins :
- Notre avenir dépendrait de nos chiottes ? !!!! ?
- C’est un raccourci mais n’oubliez pas, nous sommes issus d’étoiles mortes, de déchets d’étoiles.
Devant ces WC révolutionnaires, je me suis soulagé, pensant ironiquement à mon avenir dans le cosmos.
- N’hésitez pas à tirer la chasse ajoute Alexandre l’eau reviendra automatiquement après être passée par le stade gazeux.
Nous renfilâmes nos combinaisons et casques. Une fois harnaché, j’effectuais quelques sauts et mouvements divers. Malgré le poids du scaphandre, je me sentis à la fois léger et puissant. Je pesais 20 kg pour un potentiel musculaire de 80 kg. Je m‘estimais alors invulnérable, erreur et désillusion, vous comprendrez par la suite.
Marial me renseigna sur la température.
- En période d’ensoleillement, 15 jours terriens, il règne une température de
+120° celcius sur les surfaces exposées au soleil et -50° sur celles à l’ombre d’une montagne ou barrière rocheuse.
En période de lune noire -160° sur toute la surface.
Notre combinaison absorbe tous ces écarts sauf en lune noire où le chauffage est électrique.
- Sans soleil sur le casque, comment fabriquez-vous de l’électricité ?
- Le ciel est constellé d’étoiles. Elles remplacent le soleil sur les plaques photovoltaïques.
Nous étions alors habillés de la tête aux pieds, fins prêts à affronter le climat lunaire.
- Nous communiquerons par radio, complète Martial. Si vous percevez le moindre problème à respirer, ouvrez les bouteilles dorsales d’un coup sec sur la vanne « coup de poing » située sur la poitrine. Il faudra alors envisager de rejoindre la navette dans les heures suivantes.
Nous sommes équipés de la deuxième génération de combinaison.
Alexandre, soucieux de nos commodités, avait conçu une sortie naturelle à travers les parois afin de satisfaire nos besoins tout aussi naturels.
Un jour dans l’espace, revenant de dégripper un socle de télescope, je me suis attardé autour de la navette, admirant les étoiles et suite à un succulent cassoulet, le gastrique me rappelle à l’ordre et expulse une quantité gazeuse importante.
Je fus subitement projeté à une centaine de mètres de la navette, sans aucun moyen d’y revenir. Impossible d’appeler à l’aide, Alexandre n’était pas en liaison radio.
Je dus la vie sauve aux tuyaux des bouteilles dorsales que j’arrachais de manière à me diriger et revenir vers la gravité de la navette.
Depuis, Alexandre a supprimé cet orifice et prévu un troisième tuyau, réservé aux déplacements extérieurs au vaisseau.
Pierre Olive :
- Tiens, tiens ! Le cassoulet serait le seul plat dans l’espace qui nourrit son homme tout en lui servant d’énergie de propulsion !
Rire général.
Le calme revenu :
- Bravo, Pierre Olive, pour tes raccourcis ! Je continue, si tu le veux bien.
La fraîcheur commençait à m’envahir par l’intermédiaire du masque. C’était la lentille en céramique qui nous fournissait déjà hydrogène et oxygène grâce au peu de lumière diffusée par l’éclairage intérieur de l’œuf.
Une fois la porte intérieure du sas refermée, Alexandre ouvrit la vanne extérieure afin de vider l’air sur la lune et je sentis brusquement la combinaison se gonfler.
C’était simplement l’absence de pression juxtaposée au 1 kg / cm² de pression intérieure qui la dilatait. Je me sentis tout bizarre dans ce scaphandre devenu semi rigide. J’avais les bras et les jambes écartés.
Une fois le sas vide d’air, Alexandre ouvrit la porte extérieure de la navette et m’annonça :
- Programme des réjouissances : visite de notre complexe lunaire et son confort terrien, sa gastronomie bien franchouillarde, puis quelques pas sur ceux de Neil Amstrong et Buzzy Aldrin non loin d’ici et si vous le désirez encore nous aborderons d’autres sites d’alunissages américains et russes.
Descendant les quelques marches nous séparant de ce sol mythique, nous ressemblions à des bibendums empotés. Martial sauta directement et rebondit d’une façon inattendue.
Une fois à lune, malgré l’encombrement du scaphandre, je me sentis terriblement agile.
Alexandre relia électriquement la navette à une prise murale de ce parking poids lourds.
Hors de l’abri, je marchais sur la lune ! Je foulais la lune ! J’écrasais la lune !
Chose étrange, chaque pas faisait jaillir le sable à une hauteur surprenante.
Malgré l’euphorie du moment due à cette situation hors du commun, impensable quelques heures auparavant, j’étais déçu, déçu par quoi ? Par le paysage ! J’observais les alentours : couleur grise, temps gris, sol triste. J’étais désappointé, les seules couleurs venaient de chez nous la terre.
Les rochers aux alentours n’arrivaient pas à égayer le site, cela manquait franchement de végétation, et pourtant je me trouvais à l’emplacement même des rêves et fantasmes de bon nombre d’entre nous.
Je suivais Martial enveloppé d’un nuage.
- La lune est très poussiéreuse ! Dis-je.
- L’impact de nos pas fait voler le sable car le grain ne pèse ici que le 1/6 de son poids.
A cinq ou six mètres de notre alunissage Alexandre et Martial tombèrent en arrêt devant une sphère métallique d’un mètre vingt, entourée d’encombrants panneaux solaires tordus et brisés.
Alexandre :
- Ah ! Voilà le fameux satellite à qui nous avons coupé l’orbite.
Il est immatriculé M PP 113 N° 1145 ……
Les M PP sont de surveillance militaire américaine, des satellites espions. En principe, il n’aurait pas dû se situer sur une orbite aussi haute parce que l’analyse des détails à cette distance reste plus difficile qu’à orbite basse.
Ils ont dû le perdre ou l’éjecter volontairement dans l’espace.
Il a subi un sacré choc en touchant le sol, toute une partie est écrasée.
Martial :
- Cela ne doit pas arriver souvent qu’un satellite quitte l’attraction terrestre pour venir se scratcher sur la lune ?
- Oui, le phénomène d’impédance collatérale se confirme.
Nous le renverrons à son propriétaire, accompagné d’un mot d’excuse.
Etonné, je regardais Martial rieur.
- Le professeur est resté très farceur à ses heures. Nous le chargerons dans la soute de l’œuf.
- A combien estimez-vous son poids ?
- 600 kg environ, ici cela ne fait plus que 100 kg. Nous y arriverons facilement.
Se dirigeant vers une construction recouverte de sable et petits rochers lunaires, Martial se mit à courir, effectuant des bons analogues à ceux d’un trampoline.
- Voici notre résidence secondaire avec vue sur toutes les mers et océans de la terre.
L’esthétique n’était pas la première qualité de l’édifice. Quelques fenêtres émergeaient de cette triste muraille rouillée. Quelques tags me disais-je alors auraient été les bienvenus.
La porte d’entrée ou porte du sas ressemblait à celle d’un coffre fort avec un volant d’ouverture en guise de serrure.
- Nous avons bâti ce refuge m’explique Alexandre grâce à ces dalles soudées ; couler du béton nous aurait compliqué la tâche.
- Par manque d’eau ?
- Détrompez-vous, nous en avons à profusion, elle alimente nos robinets et sanitaires.
- Sous pression ?
- Absolument ! Par une méthode ancestrale de sourcier, nous avons situé l’emplacement d’un forage et grâce au camion tarière, l’un des 3 poids lourds, nous avons creusé un puit d’une cinquantaine de mètres et canalisé l’eau jusqu’à cette structure.
- Vous la pompez ?
- Non, nous envoyons du gaz sous pression dans la poche phréatique, ce qui fait remonter l’eau dans les tuyaux jusqu’aux robinets.
- Quel gaz injectez-vous ?
- De l’hydrogène car ici, issu de l’eau c’est un gaz en trop. Avec un camion grue, un groupe électrogène et un poste à souder conséquent ce fut un jeu d’enfant d’ajuster ces dalles et les unir pour l’éternité.
- Comment fonctionne le moteur de ces poids lourds ?
- Grâce à l’hydrogène et oxygène, dans un mélange très riche en hydrogène, afin de ne pas faire fondre ses pistons. Un circuit électrique avec bougie d’allumage remplace le circuit d’injection.
Quelle gloire, me disais-je, pour ce vieux BERLIET de finir sa vie sur la lune !
- Votre groupe électrogène est-il alimenté de la même manière ?
- Non. Nous utilisons le générateur électrique de première génération, actif sur la lune sans aucun apport d’énergie. Nous en avons un sur notre vaisseau, un sur l’appartement et sur chaque véhicule PL.
Il est constitué de deux panneaux dos à dos inclinés à 45° où circule un liquide.
L’ensemble est mobile sur un axe. Une cellule photoélectrique va diriger l’un des panneaux vers le soleil, l’autre se retrouvant forcément à l’ombre.
Les rayons du soleil élèvent rapidement la température à 150°. Le liquide monte dans le panneau, bout et actionne une turbine située au-dessus des deux capteurs. Puis cette vapeur est envoyée dans le deuxième panneau à l’ombre où elle se refroidit, se condense, redescend et revient alors par le bas au premier panneau, ainsi de suite.
La turbine actionne un alternateur qui nous alimente en 220 ou 380 volts. Le liquide étant de nature huileuse, la vie de l’appareil est presque éternelle.
- Il faut malgré tout du soleil !
- Absolument ! Ainsi que de la gravité. Pour cette raison, j’en ai imaginé un second susceptible de fonctionner avec la lumière des étoiles et sans gravité. C’est cette lentille en céramique adaptée sur notre casque car hélas les périodes d’ensoleillement ne dépassent pas 15 jours.
Bien…. Pour l’instant visite de notre résidence secondaire.
Martial tourna alors le volant d’ouverture comme le fait votre banquier devant sa chambre forte et la lourde porte pivota.
- Pas de sonnette ni de serrure ? Leur demandais-je.
- Non ! Rares sont les visites désirées comme indésirables !
A l’intérieur du sas, changement de décor. Deux appliques électriques brillaient en permanence. Le sol et les murs étaient recouverts de moquette saumon.
Me désignant les appareils de mesure situés sur la paroi opposée à 3 placards :
- Nous allons bénéficier du même mélange gazeux que sur terre sous une pression de 1,045 kg/cm² et une hygrométrie à 55%. Ne vous déshabillez pas tant que la pression n’est pas montée m’indique Alexandre, pointant du doigt le baromètre.
Ce complexe est en permanence sous tension électrique et sous atmosphère grâce au générateur deuxième génération, la grosse lentille.
L’air est filtré comme dans la navette et le gaz carbonique éjecté. L’azote provient d’une citerne cryogénique empruntée à St-Dizier.
- Vous avez puisé vos matériaux de construction dans le Triangle des Bermudes ?
- Rassurez-vous, ces emprunts seront remboursés grâce aux gains issus de nos découvertes.
Pierre Olive :
- Si j’ai bien compris ces emprunts seront remboursés par des découvert……es !
Hilarité générale
Le père Uranus :
- Tu as raté ta vocation, Pierre Olive ! Je continue :
La pression à l’intérieur du sas continuait de monter. Tout au long de la manœuvre, je sentais mon scaphandre se dégonfler, c’était l’équilibre des pressions.
Alexandre :
- Ne vous avisez jamais de vider le sas sans avoir endossé votre combinaison, vous éclateriez comme une baudruche.
Pierre Olive :
- Heum ! Pas très hospitalière Dame Lune !
- Nous pouvons nous désincarcérer, déverrouillez gants, casque, chaussures ….. et rangez-les dans le placard n° 2 dans lequel une paire de charentaises vous attend.
- Touchante attention car mes chaussures étaient restées dans le vaisseau. Malgré l’hygrométrie à 55% je ressentais nettement une différence d’assèchement de l’air.
Alexandre ouvrit la porte intérieure et nous pénétrâmes en costume de ville et charentaises dans cet antre de civilisation coloniale terrestre sur sol lunaire.
Si ce n’était l’implantation, l’ensemble n’aurait rien eu d’original, chaleureux certes, moquetté saumon (il a dû bénéficier d’un prix de gros) éclairage indirect gentiment camouflé, chose curieuse, il n’y avait pas d’interrupteur. Je lui en fis la remarque.
- Seules les chambres en sont équipées, pour les autres pièces à quoi bon nous ne payons pas les
photons !
La porte intérieure donnait sur une grande salle de 50m² et la disposition générale de l’habitat ressemblait étrangement à celui de la navette : couloir central à gauche desservant cuisine, salle de bains et chambres signées du même architecte.
Cependant le local de droite, réservé dans le vaisseau au contrôle de navigation, était ici occupé par des télescopes apparemment normaux réservés à l’observation, mais sait-on jamais !!! Avec eux tout restait envisageable.
Un tableau de contrôle, pression, température, hygrométrie, était également là pour nous rappeler la difficulté de reconstitution d’une vie terrienne dans ce refuge lunaire.
Par les nombreuses fenêtres agrémentées de rideaux, côté droit de l’habitat ou si vous préférez côté sud géographique lunaire, nous apercevions un arrondi de la terre.
- Il n’y a rien de plus merveilleux avant de s’endormir que de contempler un clair de terre ! M’avoua Alexandre. Pour cette raison, ma chambre donne directement sur Terre.
M’avançant vers l’ouverture, j’admirai également cette merveille où je suis né, cette planète bleue et blanche.
Malgré tout le temps m’inquiétait.
- Le temps me semble bien gris, comme s’il allait pleuvoir ?
- Cette lumière grise est d’abord due à l’environnement lunaire, son sol en particulier mais également aux différentes couches de protection contre les rayons cosmiques diffusés sur les verres des fenêtres. Nous ne bénéficions pas des couleurs réelles.
- Combien avez-vous de chambres ?
- Six ! Nous avons voulu faire grand afin d’organiser des séjours et rentabiliser nos recherches.
Le mobilier était des plus rustiques : quelques placards, une immense table centrale, plusieurs chaises dépareillées. De nombreux radiateurs convecteurs entretenaient la température et un écran moniteur était allumé sur un paysage désertique et rocailleux de couleur jaune.
- C’est une retransmission en direct de la planète Mars. Elle nous indique le temps qu’il fait car le vent martien, le « Marstril » comme je l’ai baptisé, nous empêche certaines activités.
Martial m’extirpa de mes cogitations.
- Cette porte donne accès à une cuisine tout à fait classique, plaques électriques, four, frigo, congélo, divers placards à conserves. Seule la hotte aspirante est différente, c’est un simple trou vers l’extérieur, une ouverture sur la lune et croyez-moi, c’est efficace.
L’ouverture est modulable sinon toute la vaisselle y passerait et notre pressurisation avec, malgré le compresseur qui peinerait à rétablir l’équilibre.
En face, cette porte donne sur la salle d’eau avec baignoire, douche, lavabo et wc récupérateur à l’instar de la navette.
Plus loin, 6 chambres, dont trois avec vue sur les mers de terre et les trois autres avec vue sur mer lunaire. Voilà notre F7 lunaire !
Plusieurs questions se bousculaient dans mon crâne :
- Comment avez-vous transporté tout ça de terre, camions, acier et le reste, Alexandre ?
- Arrimés latéralement à la navette. Nous avons transporté de part et d’autre du vaisseau une cargaison invraisemblable. La charge ne nous gênait guère bien au contraire.
- Vous n’avez jamais été repérés pendant ces travaux ?
- Par les astronomes ? Non ! Nous avions pris nos précautions.
- A l’abri d’un parasol ?
- Non, grâce à une des applications du télescope à lentille ferrite. Je vais vous en faire la démonstration.
Il ouvrit un placard et en retira un instrument bizarre apparenté au télescope, néanmoins très court et très large, le brancha à une prise murale et me fit face.
- Ceci est un télescope à champ large, m’apercevez-vous ?
- A 6 pas de moi, le contraire serait inquiétant.
- Bien, attention ! Moteur ! Comme disent les metteurs en scène.
Guère rassuré sur ce qui pouvait sortir de cet engin, j’attendis. En effet ce qui suivit fût proprement sidérant, mais quoi de plus logique dans l’espace sidéral. Je ne voyais plus le professeur Fortin à deux pas de moi. Il avait disparu dans son appareil. Seul restait visible le cordon le reliant à la prise. Une voix sortie de nulle part m’apostropha.
- Alors, Monsieur Callisto ? Croyez-vous aux fantômes, à l’homme invisible ?
- Où êtes-vous ?
- A la même place ! Je coupe l’alimentation électrique et je réapparais. C’est un simple dérivé d’application du gobeur de photons. Quand il les avale, il est impossible de voir dans un espace déterminé comme autour d’un trou noir.
Grâce au choix d’un grand angle, nous supprimons en partie le phénomène d’attraction en élargissant le champ d’application. Un tel appareil dirigé vers la terre empêche n’importe quel astronome à l’œil télescopique d’ausculter la lune sur une portion déterminée. C’est ce même système qui nous permet de nous poser sur terre sans être aperçus de quiconque.
Toutefois, sur une longue période, ce procédé a ses limites car il prédispose à une attirance d’agrégats et diverses météorites dans son champ d’action, ce qui pourrait détruire l’appareil et nous avec.
- Mais alors, une question se pose, votre générateur à lentille au-dessus de l’habitat est en danger permanent de bombardement ?
- Non : nous l’avons recouvert d’une dalle d’acier comparable à la bâtisse. La lentille reçoit la lumière ou les photons, si vous préférez, par l’intermédiaire d’une feuille d’inox poli, dirigée vers les lentilles captatrices. Cet inox est parfois abîmé par les cailloux célestes et régulièrement remplacé.
En ouvrant la porte du sas, si aucune lumière n’est allumée, nous renouvelons immédiatement cette tôle afin de bénéficier instantanément du fonctionnement de ce groupe : électricité et oxygène.
A cet instant, je me demandais quel problème n‘avait pas résolu ce diable d’homme.
Me voyant examiner l’épaisse moquette, Martial précisa :
- La main d’œuvre locale ne court pas les rues. C’est le matériau le plus rapide et facile à poser. Une bonne épaisseur d’isolant sur la ferraille, une couche de colle, une belle étendue de moquette et c’est habitable, clés en mains. Seules les cloisons intérieures sont en bois et malgré tout isolées, ce qui permet des températures différentes dans chaque salle.
Ma pièce favorite est la cuisine, vous prendrez bien un petit expresso lunaire ?
- Volontiers.
- Tous ces placards ainsi que le congélateur renferment de la fine nourriture terrestre, histoire de ne pas se dépayser le gastrique car ici question légumes ou gibiers locaux, faudra attendre un peu.
- Par arrêt du groupe toutes vos réserves risquent d’être fichues ?
- Non, elles seront un peu plus congelées par le froid lunaire, c’est tout. En revanche pour notre cave à vin cela serait dramatique. Néanmoins nous venons ici assez régulièrement et plus rapidement qu’à Deauville. C’est notre résidence secondaire.
- La mer en moins.
- C’est un comble !!! Océans atlantique, pacifique, une kyrielle de mers, vous avez devant vous la meilleure vue océanique de tout l’univers, de surcroît nous sommes en pleine mer (de la tranquillité) et la mer vous manque !!!
- Veuillez m’excuser.
Avant d’alimenter la cafetière, Martial réfléchit :
- Ces décalages horaires m’ont donné faim, n’avaleriez-vous pas un morceau ?
- A vrai dire pourquoi pas, je commence à avoir l’estomac dans les talons.
Consultant ma montre, 1 heure à peine nous séparait du départ.
Alexandre :
-Les sucs gastriques réagissent beaucoup plus à la distance parcourue qu’au temps écoulé.
Sur ce, Martial sortit du frigo quelques cochonnailles et d’un placard devinez quoi ? Un succulent castoulet dont l’odeur, réchauffé au bain marie, embaumait cette cuisine …lunaire.
- Fameux cet « en-cas », Martial. Il restera le meilleur plat de mon existence.
Alexandre :
- Le fait d’avoir quitté la terre influe sur nos papilles, elles sont plus sensibles, méfiez-vous.
- Probablement, néanmoins ce Bourgogne est royal, ne me dites pas le contraire.
- Certes non. Vous voilà prêt à arpenter la lune, visiter son parc à ferraille, les vestiges d’alunissage américains, sa casse automobile, etc.… ?
Contemplant la bouteille de vin aux trois quarts vides, Martial ajouta :
- Si je jetais cette bouteille dehors, dans un premier temps le bouchon sauterait et dans un deuxième le vin se gazéifierait, profitons-en pour la finir avant les contrôles d’alcoolémie sur voies spatiales !
Sur ce, le père Uranus referme son classeur.
- Aujourd’hui, j’ai particulièrement été généreux.
Profitez de votre week- end pour digérer ce récit avant de prendre la route, lundi, sur les pistes lunaires plus accidentées que celle du « Dakar ».
Sur ce, bon dimanche à tous !
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PLONGEON DANS LA MER DE LA TRANQUILLITE
Toulouse – Vendredi – 17h05
Demain samedi, il n’y aura pas de prestation du père Uranus. Le public est donc avide d’entendre notre homme raconter ses premiers pas, ses premiers pas sur la lune.
- Mes chers amis, bonjour ! Où en étions-nous ?
Ah oui, nous avions aluni par le nez de l’œuf et nous apprêtions à stationner l’engin.
Chaque trou, chaque bosse ou obstacle était directement ressenti à l’intérieur du vaisseau.
Arrivé devant l’abri, Alexandre rétracta les pieds hydrauliques au maximum, de manière à entreposer la navette sans endommager les groupes électrogènes et télescopes disposés sur le toit.
- Nos appareils dorsaux seront protégés des météorites explique Alexandre grâce à une dalle d’acier de 10 cm d’épaisseur car à l’arrêt nous ne bénéficions plus de l’effet d’impédance collatérale. Plusieurs mètres cube de gravas de lune étendus sur cette dalle représentent un bouclier statique acceptable pour tout habitat lunaire.
Notre complexe est également construit de la sorte.
Apercevant un dispositif analogue sur chaque poids lourd, je lui demande :
- Vos camions bénéficient aussi de votre générateur dernier cri ?
- Oui ! Tout endroit statique ou dynamique susceptible de recevoir l’homme doit pouvoir l’accueillir avec un maximum de survie. L’air pressurisé, l’eau et l’électricité ainsi que quelques boites de conserves sont ici synonymes de survie.
Bien… Avant de sortir, nous devons respecter la check liste. Elle nous ordonne « opération pipi avant combi » Direction les toilettes, c’est l’occasion de les inaugurer.
Nous possédions au début, le système Apollo : un trou vers l’extérieur et basta, on referme, la pression intérieure éjectant l’éjectable dans l’univers.
Avec une petite idée derrière la tête, j’ai sophistiqué ces toilettes.
Elles ressemblent à toutes les autres, à part ces deux sorties.
L’une est réservée aux matières solides, l’autre aux liquides.
Dans la deuxième, les liquides arrivent dans un séparateur moléculaire dissociant d’un côté hydrogène et oxygène, qui une fois recombinés restituent de l’eau propre et de l’autre, urée, albumine et autres déchets organiques transformés en poudre qui eux iront rejoindre la première sortie des solides une fois ceux-ci passés dans un incinérateur.
C’est à mon humble avis les premières toilettes écologiques de l’univers.
Cette mixture soigneusement conservée servira mon fameux projet de conquête planétaire.
Une providence pour l’homme, en danger sur sa propre planète.
Pierre Olive, attentif à rendre la monnaie, n’en sursaute pas moins :
- Notre avenir dépendrait de nos chiottes ? !!!! ?
- C’est un raccourci mais n’oubliez pas, nous sommes issus d’étoiles mortes, de déchets d’étoiles.
Devant ces WC révolutionnaires, je me suis soulagé, pensant ironiquement à mon avenir dans le cosmos.
- N’hésitez pas à tirer la chasse ajoute Alexandre l’eau reviendra automatiquement après être passée par le stade gazeux.
Nous renfilâmes nos combinaisons et casques. Une fois harnaché, j’effectuais quelques sauts et mouvements divers. Malgré le poids du scaphandre, je me sentis à la fois léger et puissant. Je pesais 20 kg pour un potentiel musculaire de 80 kg. Je m‘estimais alors invulnérable, erreur et désillusion, vous comprendrez par la suite.
Marial me renseigna sur la température.
- En période d’ensoleillement, 15 jours terriens, il règne une température de
+120° celcius sur les surfaces exposées au soleil et -50° sur celles à l’ombre d’une montagne ou barrière rocheuse.
En période de lune noire -160° sur toute la surface.
Notre combinaison absorbe tous ces écarts sauf en lune noire où le chauffage est électrique.
- Sans soleil sur le casque, comment fabriquez-vous de l’électricité ?
- Le ciel est constellé d’étoiles. Elles remplacent le soleil sur les plaques photovoltaïques.
Nous étions alors habillés de la tête aux pieds, fins prêts à affronter le climat lunaire.
- Nous communiquerons par radio, complète Martial. Si vous percevez le moindre problème à respirer, ouvrez les bouteilles dorsales d’un coup sec sur la vanne « coup de poing » située sur la poitrine. Il faudra alors envisager de rejoindre la navette dans les heures suivantes.
Nous sommes équipés de la deuxième génération de combinaison.
Alexandre, soucieux de nos commodités, avait conçu une sortie naturelle à travers les parois afin de satisfaire nos besoins tout aussi naturels.
Un jour dans l’espace, revenant de dégripper un socle de télescope, je me suis attardé autour de la navette, admirant les étoiles et suite à un succulent cassoulet, le gastrique me rappelle à l’ordre et expulse une quantité gazeuse importante.
Je fus subitement projeté à une centaine de mètres de la navette, sans aucun moyen d’y revenir. Impossible d’appeler à l’aide, Alexandre n’était pas en liaison radio.
Je dus la vie sauve aux tuyaux des bouteilles dorsales que j’arrachais de manière à me diriger et revenir vers la gravité de la navette.
Depuis, Alexandre a supprimé cet orifice et prévu un troisième tuyau, réservé aux déplacements extérieurs au vaisseau.
Pierre Olive :
- Tiens, tiens ! Le cassoulet serait le seul plat dans l’espace qui nourrit son homme tout en lui servant d’énergie de propulsion !
Rire général.
Le calme revenu :
- Bravo, Pierre Olive, pour tes raccourcis ! Je continue, si tu le veux bien.
La fraîcheur commençait à m’envahir par l’intermédiaire du masque. C’était la lentille en céramique qui nous fournissait déjà hydrogène et oxygène grâce au peu de lumière diffusée par l’éclairage intérieur de l’œuf.
Une fois la porte intérieure du sas refermée, Alexandre ouvrit la vanne extérieure afin de vider l’air sur la lune et je sentis brusquement la combinaison se gonfler.
C’était simplement l’absence de pression juxtaposée au 1 kg / cm² de pression intérieure qui la dilatait. Je me sentis tout bizarre dans ce scaphandre devenu semi rigide. J’avais les bras et les jambes écartés.
Une fois le sas vide d’air, Alexandre ouvrit la porte extérieure de la navette et m’annonça :
- Programme des réjouissances : visite de notre complexe lunaire et son confort terrien, sa gastronomie bien franchouillarde, puis quelques pas sur ceux de Neil Amstrong et Buzzy Aldrin non loin d’ici et si vous le désirez encore nous aborderons d’autres sites d’alunissages américains et russes.
Descendant les quelques marches nous séparant de ce sol mythique, nous ressemblions à des bibendums empotés. Martial sauta directement et rebondit d’une façon inattendue.
Une fois à lune, malgré l’encombrement du scaphandre, je me sentis terriblement agile.
Alexandre relia électriquement la navette à une prise murale de ce parking poids lourds.
Hors de l’abri, je marchais sur la lune ! Je foulais la lune ! J’écrasais la lune !
Chose étrange, chaque pas faisait jaillir le sable à une hauteur surprenante.
Malgré l’euphorie du moment due à cette situation hors du commun, impensable quelques heures auparavant, j’étais déçu, déçu par quoi ? Par le paysage ! J’observais les alentours : couleur grise, temps gris, sol triste. J’étais désappointé, les seules couleurs venaient de chez nous la terre.
Les rochers aux alentours n’arrivaient pas à égayer le site, cela manquait franchement de végétation, et pourtant je me trouvais à l’emplacement même des rêves et fantasmes de bon nombre d’entre nous.
Je suivais Martial enveloppé d’un nuage.
- La lune est très poussiéreuse ! Dis-je.
- L’impact de nos pas fait voler le sable car le grain ne pèse ici que le 1/6 de son poids.
A cinq ou six mètres de notre alunissage Alexandre et Martial tombèrent en arrêt devant une sphère métallique d’un mètre vingt, entourée d’encombrants panneaux solaires tordus et brisés.
Alexandre :
- Ah ! Voilà le fameux satellite à qui nous avons coupé l’orbite.
Il est immatriculé M PP 113 N° 1145 ……
Les M PP sont de surveillance militaire américaine, des satellites espions. En principe, il n’aurait pas dû se situer sur une orbite aussi haute parce que l’analyse des détails à cette distance reste plus difficile qu’à orbite basse.
Ils ont dû le perdre ou l’éjecter volontairement dans l’espace.
Il a subi un sacré choc en touchant le sol, toute une partie est écrasée.
Martial :
- Cela ne doit pas arriver souvent qu’un satellite quitte l’attraction terrestre pour venir se scratcher sur la lune ?
- Oui, le phénomène d’impédance collatérale se confirme.
Nous le renverrons à son propriétaire, accompagné d’un mot d’excuse.
Etonné, je regardais Martial rieur.
- Le professeur est resté très farceur à ses heures. Nous le chargerons dans la soute de l’œuf.
- A combien estimez-vous son poids ?
- 600 kg environ, ici cela ne fait plus que 100 kg. Nous y arriverons facilement.
Se dirigeant vers une construction recouverte de sable et petits rochers lunaires, Martial se mit à courir, effectuant des bons analogues à ceux d’un trampoline.
- Voici notre résidence secondaire avec vue sur toutes les mers et océans de la terre.
L’esthétique n’était pas la première qualité de l’édifice. Quelques fenêtres émergeaient de cette triste muraille rouillée. Quelques tags me disais-je alors auraient été les bienvenus.
La porte d’entrée ou porte du sas ressemblait à celle d’un coffre fort avec un volant d’ouverture en guise de serrure.
- Nous avons bâti ce refuge m’explique Alexandre grâce à ces dalles soudées ; couler du béton nous aurait compliqué la tâche.
- Par manque d’eau ?
- Détrompez-vous, nous en avons à profusion, elle alimente nos robinets et sanitaires.
- Sous pression ?
- Absolument ! Par une méthode ancestrale de sourcier, nous avons situé l’emplacement d’un forage et grâce au camion tarière, l’un des 3 poids lourds, nous avons creusé un puit d’une cinquantaine de mètres et canalisé l’eau jusqu’à cette structure.
- Vous la pompez ?
- Non, nous envoyons du gaz sous pression dans la poche phréatique, ce qui fait remonter l’eau dans les tuyaux jusqu’aux robinets.
- Quel gaz injectez-vous ?
- De l’hydrogène car ici, issu de l’eau c’est un gaz en trop. Avec un camion grue, un groupe électrogène et un poste à souder conséquent ce fut un jeu d’enfant d’ajuster ces dalles et les unir pour l’éternité.
- Comment fonctionne le moteur de ces poids lourds ?
- Grâce à l’hydrogène et oxygène, dans un mélange très riche en hydrogène, afin de ne pas faire fondre ses pistons. Un circuit électrique avec bougie d’allumage remplace le circuit d’injection.
Quelle gloire, me disais-je, pour ce vieux BERLIET de finir sa vie sur la lune !
- Votre groupe électrogène est-il alimenté de la même manière ?
- Non. Nous utilisons le générateur électrique de première génération, actif sur la lune sans aucun apport d’énergie. Nous en avons un sur notre vaisseau, un sur l’appartement et sur chaque véhicule PL.
Il est constitué de deux panneaux dos à dos inclinés à 45° où circule un liquide.
L’ensemble est mobile sur un axe. Une cellule photoélectrique va diriger l’un des panneaux vers le soleil, l’autre se retrouvant forcément à l’ombre.
Les rayons du soleil élèvent rapidement la température à 150°. Le liquide monte dans le panneau, bout et actionne une turbine située au-dessus des deux capteurs. Puis cette vapeur est envoyée dans le deuxième panneau à l’ombre où elle se refroidit, se condense, redescend et revient alors par le bas au premier panneau, ainsi de suite.
La turbine actionne un alternateur qui nous alimente en 220 ou 380 volts. Le liquide étant de nature huileuse, la vie de l’appareil est presque éternelle.
- Il faut malgré tout du soleil !
- Absolument ! Ainsi que de la gravité. Pour cette raison, j’en ai imaginé un second susceptible de fonctionner avec la lumière des étoiles et sans gravité. C’est cette lentille en céramique adaptée sur notre casque car hélas les périodes d’ensoleillement ne dépassent pas 15 jours.
Bien…. Pour l’instant visite de notre résidence secondaire.
Martial tourna alors le volant d’ouverture comme le fait votre banquier devant sa chambre forte et la lourde porte pivota.
- Pas de sonnette ni de serrure ? Leur demandais-je.
- Non ! Rares sont les visites désirées comme indésirables !
A l’intérieur du sas, changement de décor. Deux appliques électriques brillaient en permanence. Le sol et les murs étaient recouverts de moquette saumon.
Me désignant les appareils de mesure situés sur la paroi opposée à 3 placards :
- Nous allons bénéficier du même mélange gazeux que sur terre sous une pression de 1,045 kg/cm² et une hygrométrie à 55%. Ne vous déshabillez pas tant que la pression n’est pas montée m’indique Alexandre, pointant du doigt le baromètre.
Ce complexe est en permanence sous tension électrique et sous atmosphère grâce au générateur deuxième génération, la grosse lentille.
L’air est filtré comme dans la navette et le gaz carbonique éjecté. L’azote provient d’une citerne cryogénique empruntée à St-Dizier.
- Vous avez puisé vos matériaux de construction dans le Triangle des Bermudes ?
- Rassurez-vous, ces emprunts seront remboursés grâce aux gains issus de nos découvertes.
Pierre Olive :
- Si j’ai bien compris ces emprunts seront remboursés par des découvert……es !
Hilarité générale
Le père Uranus :
- Tu as raté ta vocation, Pierre Olive ! Je continue :
La pression à l’intérieur du sas continuait de monter. Tout au long de la manœuvre, je sentais mon scaphandre se dégonfler, c’était l’équilibre des pressions.
Alexandre :
- Ne vous avisez jamais de vider le sas sans avoir endossé votre combinaison, vous éclateriez comme une baudruche.
Pierre Olive :
- Heum ! Pas très hospitalière Dame Lune !
- Nous pouvons nous désincarcérer, déverrouillez gants, casque, chaussures ….. et rangez-les dans le placard n° 2 dans lequel une paire de charentaises vous attend.
- Touchante attention car mes chaussures étaient restées dans le vaisseau. Malgré l’hygrométrie à 55% je ressentais nettement une différence d’assèchement de l’air.
Alexandre ouvrit la porte intérieure et nous pénétrâmes en costume de ville et charentaises dans cet antre de civilisation coloniale terrestre sur sol lunaire.
Si ce n’était l’implantation, l’ensemble n’aurait rien eu d’original, chaleureux certes, moquetté saumon (il a dû bénéficier d’un prix de gros) éclairage indirect gentiment camouflé, chose curieuse, il n’y avait pas d’interrupteur. Je lui en fis la remarque.
- Seules les chambres en sont équipées, pour les autres pièces à quoi bon nous ne payons pas les
photons !
La porte intérieure donnait sur une grande salle de 50m² et la disposition générale de l’habitat ressemblait étrangement à celui de la navette : couloir central à gauche desservant cuisine, salle de bains et chambres signées du même architecte.
Cependant le local de droite, réservé dans le vaisseau au contrôle de navigation, était ici occupé par des télescopes apparemment normaux réservés à l’observation, mais sait-on jamais !!! Avec eux tout restait envisageable.
Un tableau de contrôle, pression, température, hygrométrie, était également là pour nous rappeler la difficulté de reconstitution d’une vie terrienne dans ce refuge lunaire.
Par les nombreuses fenêtres agrémentées de rideaux, côté droit de l’habitat ou si vous préférez côté sud géographique lunaire, nous apercevions un arrondi de la terre.
- Il n’y a rien de plus merveilleux avant de s’endormir que de contempler un clair de terre ! M’avoua Alexandre. Pour cette raison, ma chambre donne directement sur Terre.
M’avançant vers l’ouverture, j’admirai également cette merveille où je suis né, cette planète bleue et blanche.
Malgré tout le temps m’inquiétait.
- Le temps me semble bien gris, comme s’il allait pleuvoir ?
- Cette lumière grise est d’abord due à l’environnement lunaire, son sol en particulier mais également aux différentes couches de protection contre les rayons cosmiques diffusés sur les verres des fenêtres. Nous ne bénéficions pas des couleurs réelles.
- Combien avez-vous de chambres ?
- Six ! Nous avons voulu faire grand afin d’organiser des séjours et rentabiliser nos recherches.
Le mobilier était des plus rustiques : quelques placards, une immense table centrale, plusieurs chaises dépareillées. De nombreux radiateurs convecteurs entretenaient la température et un écran moniteur était allumé sur un paysage désertique et rocailleux de couleur jaune.
- C’est une retransmission en direct de la planète Mars. Elle nous indique le temps qu’il fait car le vent martien, le « Marstril » comme je l’ai baptisé, nous empêche certaines activités.
Martial m’extirpa de mes cogitations.
- Cette porte donne accès à une cuisine tout à fait classique, plaques électriques, four, frigo, congélo, divers placards à conserves. Seule la hotte aspirante est différente, c’est un simple trou vers l’extérieur, une ouverture sur la lune et croyez-moi, c’est efficace.
L’ouverture est modulable sinon toute la vaisselle y passerait et notre pressurisation avec, malgré le compresseur qui peinerait à rétablir l’équilibre.
En face, cette porte donne sur la salle d’eau avec baignoire, douche, lavabo et wc récupérateur à l’instar de la navette.
Plus loin, 6 chambres, dont trois avec vue sur les mers de terre et les trois autres avec vue sur mer lunaire. Voilà notre F7 lunaire !
Plusieurs questions se bousculaient dans mon crâne :
- Comment avez-vous transporté tout ça de terre, camions, acier et le reste, Alexandre ?
- Arrimés latéralement à la navette. Nous avons transporté de part et d’autre du vaisseau une cargaison invraisemblable. La charge ne nous gênait guère bien au contraire.
- Vous n’avez jamais été repérés pendant ces travaux ?
- Par les astronomes ? Non ! Nous avions pris nos précautions.
- A l’abri d’un parasol ?
- Non, grâce à une des applications du télescope à lentille ferrite. Je vais vous en faire la démonstration.
Il ouvrit un placard et en retira un instrument bizarre apparenté au télescope, néanmoins très court et très large, le brancha à une prise murale et me fit face.
- Ceci est un télescope à champ large, m’apercevez-vous ?
- A 6 pas de moi, le contraire serait inquiétant.
- Bien, attention ! Moteur ! Comme disent les metteurs en scène.
Guère rassuré sur ce qui pouvait sortir de cet engin, j’attendis. En effet ce qui suivit fût proprement sidérant, mais quoi de plus logique dans l’espace sidéral. Je ne voyais plus le professeur Fortin à deux pas de moi. Il avait disparu dans son appareil. Seul restait visible le cordon le reliant à la prise. Une voix sortie de nulle part m’apostropha.
- Alors, Monsieur Callisto ? Croyez-vous aux fantômes, à l’homme invisible ?
- Où êtes-vous ?
- A la même place ! Je coupe l’alimentation électrique et je réapparais. C’est un simple dérivé d’application du gobeur de photons. Quand il les avale, il est impossible de voir dans un espace déterminé comme autour d’un trou noir.
Grâce au choix d’un grand angle, nous supprimons en partie le phénomène d’attraction en élargissant le champ d’application. Un tel appareil dirigé vers la terre empêche n’importe quel astronome à l’œil télescopique d’ausculter la lune sur une portion déterminée. C’est ce même système qui nous permet de nous poser sur terre sans être aperçus de quiconque.
Toutefois, sur une longue période, ce procédé a ses limites car il prédispose à une attirance d’agrégats et diverses météorites dans son champ d’action, ce qui pourrait détruire l’appareil et nous avec.
- Mais alors, une question se pose, votre générateur à lentille au-dessus de l’habitat est en danger permanent de bombardement ?
- Non : nous l’avons recouvert d’une dalle d’acier comparable à la bâtisse. La lentille reçoit la lumière ou les photons, si vous préférez, par l’intermédiaire d’une feuille d’inox poli, dirigée vers les lentilles captatrices. Cet inox est parfois abîmé par les cailloux célestes et régulièrement remplacé.
En ouvrant la porte du sas, si aucune lumière n’est allumée, nous renouvelons immédiatement cette tôle afin de bénéficier instantanément du fonctionnement de ce groupe : électricité et oxygène.
A cet instant, je me demandais quel problème n‘avait pas résolu ce diable d’homme.
Me voyant examiner l’épaisse moquette, Martial précisa :
- La main d’œuvre locale ne court pas les rues. C’est le matériau le plus rapide et facile à poser. Une bonne épaisseur d’isolant sur la ferraille, une couche de colle, une belle étendue de moquette et c’est habitable, clés en mains. Seules les cloisons intérieures sont en bois et malgré tout isolées, ce qui permet des températures différentes dans chaque salle.
Ma pièce favorite est la cuisine, vous prendrez bien un petit expresso lunaire ?
- Volontiers.
- Tous ces placards ainsi que le congélateur renferment de la fine nourriture terrestre, histoire de ne pas se dépayser le gastrique car ici question légumes ou gibiers locaux, faudra attendre un peu.
- Par arrêt du groupe toutes vos réserves risquent d’être fichues ?
- Non, elles seront un peu plus congelées par le froid lunaire, c’est tout. En revanche pour notre cave à vin cela serait dramatique. Néanmoins nous venons ici assez régulièrement et plus rapidement qu’à Deauville. C’est notre résidence secondaire.
- La mer en moins.
- C’est un comble !!! Océans atlantique, pacifique, une kyrielle de mers, vous avez devant vous la meilleure vue océanique de tout l’univers, de surcroît nous sommes en pleine mer (de la tranquillité) et la mer vous manque !!!
- Veuillez m’excuser.
Avant d’alimenter la cafetière, Martial réfléchit :
- Ces décalages horaires m’ont donné faim, n’avaleriez-vous pas un morceau ?
- A vrai dire pourquoi pas, je commence à avoir l’estomac dans les talons.
Consultant ma montre, 1 heure à peine nous séparait du départ.
Alexandre :
-Les sucs gastriques réagissent beaucoup plus à la distance parcourue qu’au temps écoulé.
Sur ce, Martial sortit du frigo quelques cochonnailles et d’un placard devinez quoi ? Un succulent castoulet dont l’odeur, réchauffé au bain marie, embaumait cette cuisine …lunaire.
- Fameux cet « en-cas », Martial. Il restera le meilleur plat de mon existence.
Alexandre :
- Le fait d’avoir quitté la terre influe sur nos papilles, elles sont plus sensibles, méfiez-vous.
- Probablement, néanmoins ce Bourgogne est royal, ne me dites pas le contraire.
- Certes non. Vous voilà prêt à arpenter la lune, visiter son parc à ferraille, les vestiges d’alunissage américains, sa casse automobile, etc.… ?
Contemplant la bouteille de vin aux trois quarts vides, Martial ajouta :
- Si je jetais cette bouteille dehors, dans un premier temps le bouchon sauterait et dans un deuxième le vin se gazéifierait, profitons-en pour la finir avant les contrôles d’alcoolémie sur voies spatiales !
Sur ce, le père Uranus referme son classeur.
- Aujourd’hui, j’ai particulièrement été généreux.
Profitez de votre week- end pour digérer ce récit avant de prendre la route, lundi, sur les pistes lunaires plus accidentées que celle du « Dakar ».
Sur ce, bon dimanche à tous !